Louise Walser (3)
1920
Nous sommes le 2 août 1920 au Puy-en-Velay. Louise a 41 ans. On l’a trouvée sur la route entre Espaly et Le Puy et, transportée de toute urgence à l’hôpital, elle se meurt.
Depuis plusieurs semaines, sentant son déclin, elle a multiplié les démarches pour rejoindre son mari resté à Paris. Elle a appelé de tous côtés, demandé de l’aide à Rubens-Alcais, le fondateur de la fédération sportive des sourds de France et le futur créateur des premiers Jeux olympiques silencieux. En vain.
Louise est au Puy depuis 1914. A-t-elle voulu mettre ses enfants à l’abri des combats qui menaçaient Paris ? Henri l’a-t-il encouragée ou dissuadée ? En tous cas, elle est partie du domicile familial pour cette région de volcans, encadrée par de gigantesques statues : Notre Dame de France d’un côté, saint Joseph du Bon Espoir de l’autre.
Elle y est accueillie par la société locale des sourds-muets et tisse de nombreux liens d’amitié avec les uns et les autres. Elle vit là les longues années de guerre et partage les tourments des femmes de soldats. La plupart sont illettrées. C’est Louise qui lit le journal et écrit le courrier en lisant sur les lèvres des paysannes. C’est aussi Louise qui aide un médecin à pratiquer une trachéotomie chez un enfant atteint de diphtérie, comme autrefois son frère jumeau. C’est encore Louise qui fait des conférences sur la solidarité entre Sourds.
De son côté, Henri signe avec différents présidents d’associations de Sourds parisiens, deux lettres au ministre de la guerre, déclarant que les Sourds français se mettent au service de la patrie et se proposent comme combattants. Devant le refus de fait d’incorporer la plupart des Sourds, ceux-ci se rendent utiles dans les métiers réquisitionnés pour l’effort national : cordonnier, menuisier, tailleur, ajusteur ou tourneur d’obus. Henri participe aussi à la création d’un Comité de défense des Sourds-Muets. Pendant la guerre, beaucoup ont perdu leur emploi ou leur logement. Il vient plusieurs fois au Puy voir sa famille et rencontre les Sourds de la région. Pourtant, dans l’été 1920, les appels de Louise ne lui parviennent pas.
Les Sourds du Puy-en-Velay organisent l’enterrement de Louise et se relayent chaque semaine pour fleurir sa tombe. Une de ses amies parisiennes ouvre une souscription pour lui offrir une sépulture digne d’elle.
Dans La Gazette des Sourds-Muets, dont le rédacteur en chef n’est autre qu’Henri Gaillard, un article mentionne la vaillance de Louise devant l’adversité, ses qualités d’écrivain, de poétesse, mais il la décrit également révoltée, un peu orgueilleuse et irritable 34. La guerre avait sûrement éloigné les cœurs. De son côté, Rubens-Alcais, dans son journal, L’Éveil des sourds-muets, parle aussi de révolte, mais il souligne le courage et les préoccupations de cette mère de cinq enfants. Enfin, il met en avant ses talents d’écriture aussi bien dans ses lettres que dans ses poèmes aux rimes sonores. (35)
Note :
34. La Gazette des Sourds-Muets, 31e, année nouvelle série, n° 54, septembre 1920, INJS, Paris, Bibliothèque historique.
35. L’Éveil des sourds-muets, 1ère année, N° 1, décembre 1920, INJS, Paris, Bibliothèque historique
2014
Nous sommes le dimanche 21 septembre 2014 (36). Louise a disparu depuis presqu’un siècle.
L’institution où elle a été scolarisée huit ans vient d’être vendue au privé. L’acheteur est connu. Des projets de logements, d’habitat jeune, d’école sont en cours. Inscrits aux Monuments Historiques depuis peu, les façades, les grilles et la structure des bâtiments sont sauvegardées. Peut-être un des visages de jeunes filles sculptés sur la façade ressemble à celui de Louise ou de l’une de ses camarades.
Malgré son parcours particulier et remarquable, Louise Walser, la Jeanne d’Arc des sourds, fait partie de tous les anonymes qui ont vécu dans les murs de cette institution. Elle appartient à ce que certains ont appelé le peuple sourd (37), inventeur d’une langue originale, source d’enrichissement pour nous tous.
Depuis 1958, l’institution nationale a déménagé avec ses élèves de Bordeaux vers Gradignan où l’activité continue. Mais, Louise et toutes ses camarades ont connu dans l’école de Bordeaux, un lieu de socialisation, d’échanges et de traditions. L’important n’est pas seulement le lien avec le passé, même s’il se poursuit aujourd’hui dans le présent, mais c’est aussi le gage d’un avenir possible.
Notes :
36. Date des Journées Européennes du Patrimoine 2014. Ce jour-là, une conférence sur Louise Walser a eu lieu dans la cour d’honneur de l’ancienne institution des Sourdes-Muettes de Bordeaux.
37. Le premier a en avoir parlé est Ferdinand Berthier (1803-1886).
Marie-Hélène Bouchet
Poème de Louise Walser, « Berceuse d’anges », traduit par Angélique Cantin (Bibliopi) : https://www.youtube.com/watch?v=1eN-81c3-lw