François Gard

A la fin XVIIIème s., François Gard arrive à l’école des sourds-muets de Bordeaux. Il est rapidement remarqué comme bon élève et, comme Baudonnet, devient répétiteur. Le matin, il assiste aux leçons de Saint-Sernin, l’instituteur en chef. L’après-midi, il reprend avec les élèves les exercices choisis par le maître. Gard exerce cette fonction pendant 11 ans. Mais il ne souhaite pas en rester là.

En 1814, Saint-Sernin quitte l’école et meurt 2 ans plus tard. Très attaché à son professeur, Gard envisage de quitter Bordeaux et même la France. Il sait qu’un établissement pour sourds doit être fondé aux États-Unis, peut-être à New York.

Alors, il envoie des lettres pour se porter candidat : au consul américain de Bordeaux, au ministre de la santé de l’état de New York et même à l’ancien président des États-Unis, Thomas Jefferson.

Malheureusement pour lui, c’est un autre projet qui voit le jour : celui du pasteur Gallaudet et du sourd français Laurent Clerc. En 1817, la première école pour sourds des États-Unis est fondée à Hartford, à 161 kms au nord-est de New-York. Gallaudet en est le directeur et Laurent Clerc le premier professeur.

Gard reste à Bordeaux et abandonne son rêve américain. Il est toujours répétiteur et son salaire n’a pas bougé : 1.200F. Une opportunité s’offre à lui avec le départ d’un instituteur adjoint. Le personnel de l’école est hiérarchisé : le premier instituteur, le second instituteur, deux instituteurs adjoints, un répétiteur et deux surveillants pour la maison des garçons. Gard est candidat au poste d’instituteur adjoint. Il est en tête de la liste présentée au préfet de la Gironde et espère ainsi doubler ses revenus. Mais il est sourd-muet et le préfet estime que pour remplir cette fonction, il faut pouvoir entendre et parler. Gard reste donc répétiteur.

Quatre ans plus tard, le même poste est de nouveau vacant, suite à la démission de celui qui était passé devant Gard. Nouvelle liste : Gard est présenté pour la deuxième fois en tête. Cette liste comporte deux autres noms : celui d’un secrétaire d’administration employé dans l’institution et celui d’un autre, recommandé pour sa douceur.

Enfin, Gard est nommé instituteur adjoint et jure, par écrit, fidélité au roi Louis XVIII et obéissance aux lois du royaume. Nous sommes en 1820.

Quelques années plus tard, le titre d’instituteur adjoint disparaît pour devenir celui de professeur. Le premier instituteur est déchargé de classe, se consacre exclusivement aux tâches administratives et prend le titre de directeur. Le second instituteur devient premier professeur et censeur des études. Quant aux adjoints, ils sont appelés professeurs. On peut donc affirmer que Gard est le premier sourd en France à être devenu professeur. Il ne sera pas le dernier.

(Extraits d’une conférence de Marie-Hélène Bouchet et Sandy Sabaté – mai 2019)

extrait de Abbé François Laveau, Petit dictionnaire de signes illustrés, 1868

François Gard to Thomas Jefferson, 9 April 1816

Sir.

You will perhaps be Surprized at the Liberty I take in addressing you, but being governed by motives of humanity & encouraged in my design by Some military gentlemen and merchants of the united States now in this place, I Beg leave to claim your attention for a moment, on the Situation of the unhappy persons in your country who have the misfortune to be deaf & dumb. afflicted myself with these infirmities & feeling with great Sensibility for all these in the Same Situation I have enquired of the american gentlemen who have visited our Institution in Bordeaux, for the Instruction of deaf and dumb, whether there existed any Similar establishment in the united States. Being informed that no Such School had been established with you & Learning that among your deaf and dumb all those who had not the means of coming to Europe were deprived of Instruction I feel an ardent desire to devote my Labours and existence to procure for them the inestimable blessing of the education of which their organisation is Susceptible & which is So indispensable both for their own happiness & to render them useful members of Society.

I was educated myself in the Institution of the deaf & dumb in this city & having acquired by long application a Perfect Knowledge of the most approved method of Instructing this unfortunate Portion of society I have for these eight years exercized the Function of Teacher & have also acquired a tolerable Knowledge of the English Language. If The american Government or Benevolent Individuals of your Country are disposed to Form an Institution in the united States I would Willingly go there for that purpose. I can procure Satisfactory testimonial of my moral character and my Capacity for Teaching the deaf & dumb from american Consul & Several respectable military & Commercial Gentlemen of the united States who honour me with Their friendship & Esteem—I will entirely depend on the wisdom & judgment of the american Government or of the individuals who undertake to assist me in the proposed establishment, to fix the mode & plan of its organisation.

Our Institution here is calculated for 60 Poors Students at the expence of the Government which pays for each 600 francs Pr annum & 24000. for Professors & Sundry others charges to which is to be added the expence of a Suitable building, Beds, Linen &c Making the agregate expence about 1000 fr. annually for each individual. the rich pay the expence of their children & if as I have been Told a considerable portion of the deaf & dumb in the united States have the means of paying for their instruction the Expence to the Government or a private Society would be inconsiderable for myself I do not claim great emoluments my desire & object, is to Serve an afflicted portion of humanity I have a Wife & Soon expect to be a father, my only ambition, is to procure a comfortable existence for my wife & family

If you think your Government Cannot from its formation establish Such an Institution, Will you inform me what probability there is of any one of States Governments undertaking to create Such an Establishment, or whether in your Opinion Individual Subscription could be raised for its formation. Your worthy consul, mr Lee. has given me great encouragement, but I wish to feel Secure of a competency before I undertake a Voyage, as it would not be prudent in me to let go a certainty for an uncertainty having from the Institution here a Salary of 1800 francs besides other Emoluments

I Should be highly flattered by your honouring me with a reply to this, on which Permit me to say, I calculate from the Knowledge I have from mr Lee of your Patriotism & useful Labours.

I have the honour to be with high respect, Sir, your humble Servant
Fs Gard
Professeur à L’Institution royale des sourds muets à Bordeaux.

“François Gard to Thomas Jefferson, 9 April 1816,” Founders Online, National Archives, https://founders.archives.gov/documents/Jefferson/03-09-02-0448. [Original source: The Papers of Thomas Jefferson, Retirement Series, vol. 9, September 1815 to April 1816, ed. J. Jefferson Looney. Princeton: Princeton University Press, 2012, pp. 654–656.]

Mémoire adressé à la Commission administrative de l’École royale des Sourds-Muets de Bordeaux, par F. Gard.

Sur le point de transférer l’Institution des sourds muets de Bordeaux dans un autre local, l’Administration de cet établissement voulut recueillir l’opinion des instituteurs sur les améliorations qu’on pouvait y introduire. Le mémoire que nous avons sous les yeux était destiné à répondre à cet appel.

Parmi les considérations qu’il présente, les unes sont d’un intérêt purement local et ne peuvent devenir l’objet de notre examen; les autres, d’un intérêt général, ont trait à l’enseignement des sourds-muets, et méritent de fixer notre attention.

M. Gard fait observer que l’établissement ayant été fondé pour l’éducation des sourds-muets, tous les efforts doivent tendre vers ce but; pour atteindre ce but, il est important que les personnes chargées de leur éducation soient dans des rapports continuels avec eux, et que par conséquent ils demeurent au sein de l’Institution. Pour faire mieux ressortir l’avantage qui résulte de la cohabitation des professeurs avec les élèves, M. Gard donne quelques explications sur l’enseignement des sourds-muets, qu’il distingue en deux parties : l’instruction proprement dite ou classique, et l’éducation morale. Quoique différentes, elles doivent néanmoins, comme le dit avec raison M. Gard, marcher de front et être confiées aux mêmes mains, ce qui n’a pas lieu à Bordeaux. S’arrêtant d’abord sur l’instruction classique, M. Gard caractérise avec une rare sagacité la différence qui existe entre le sourd-muet et celui qụi entend, pour l’acquisition de la langue.

« Pour en avoir une juste idée, dit-il , veuillez, Messieurs, vous reporter au temps de votre enfance; vous y trouverez l’instruction maternelle. Comment s’est-elle faite ? peu à peu et sans peine ; vous appreniez à exprimer vos idées à mesure qu’elles vous venaient, et quelquefois vous connaissiez l’expression avant d’avoir acquis l’idée. Il en est tout autrement des sourds-muets. Ils nous arrivent avec un grand nombre d’idées déjà acquises, mais il leur manque le moyen de les rendre: ils n’ont pas même celle des langues; il faut donc des études préparatoires pour les initier au mécanisme du langage écrit; ces études sont pénibles et longues, elles durent bien réellement tout le temps que nos élèves restent dans la maison; il faut remplacer l’instruction maternelle dont ils ont été privés.

Un obstacle invincible s’oppose à la rapidité de leurs progrès dans la langue écrite, c’est qu’ils ont déjà une foule d’idées qu’ils sont impatients d’exprimer: de là, la nécessité, pour eux, de recourir à un langage que la nature met à leur portée; langage rapide comme la pensée, mais indomptable, et qu’on ne peut soumettre à aucune règle fixe. La langue écrite est donc laissée de côté. Leur esprit est plus difficile à manier, parce qu’il est continuellement occupé; et lorsque nous cherchons à captiver leur attention sur un point, elle nous échappe, attirée par des souvenirs ou par d’autres idées qu’ils expriment toujours par le langage des gestes. Plus heureux que nous, vous avez commencé, Messieurs, par recevoir vos idées une à une, et leur petit nombre vous permettait d’apprendre plus aisément à les exprimer.

D’un autre côté, l’ouïe vous mettait à même de faire cette première instruction sans vous fatiguer, et sans même vous en apercevoir. Dans tous les instants de la journée, chacun vous provoquait à prononcer des mots, puis à parler; vous aviez des communications continuelles et jamais interrompues avec ceux qui vous entouraient; en est-il de même des sourds-muets? Non, Messieurs; et voilà pourquoi leur instruction est si lente et si difficile; et cependant elle se borne, par l’absence des professeurs, au seul temps où ils sont en classe : votre bon sens vous dit déjà que ce n’est pas assez. »

Ici M. Gard signale les abus qui existent dans le régime intérieur de l’établissement et qui sont un grand obstacle aux progrès des études.

Passant ensuite à l’éducation morale, l’instituteur de Bordeaux s’exprime ainsi :

« Cette éducation ne peut pas se faire seulement sur les bancs de nos classes ; elle est le résultat de la manière dont on nous fait juger les faits et les choses sous le rapport moral; elle résulte des conseils, des exhortations que les occasions amènent naturellement, des récits d’histoire propres à appuyer et à faire apprécier nos préceptes; des exemples enfin que nous leur donnons nous-mêmes. La surveillance en est une partie importante, c’est un puissant auxiliaire; privés de ces divers moyens, comment pouvons-nous leur former le cœur et les mœurs ? »

M. Gard pense que les professeurs sont le plus capables d’exercer une puissante influence sur la conduite des élèves, parce que, seuls, ils peuvent avoir des relations intimes avec eux, parce que, seuls, ils peuvent leur rendre parfaitement compte des motifs de leur manière d’agir à l’égard des élèves.

M. Gard a une connaissance approfondie de la situation ancienne et actuelle de l’école de Bordeaux et des besoins qu’elle éprouve; depuis trente-neuf ans qu’il est attaché à l’établissement, il en a passé douze comme élève et vingt-sept comme professeur ; le souvenir de son premier maître, M. Saint-Sernin lui dicte encore, à la fin de son mémoire, l’expression d’une touchante reconnaissance.

 

Circulaire de l’Institut Royal des Sourds Muets de Paris à toutes les institutions de sourds muets de l’Europe, de l’Amérique et de l’Asie, Volume 4

Institut Royal des Sourds Muets (Paris), 1836

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