Jean Massieu

Jean Massieu est né sourd le 02 septembre 1772 à Semens, en Gironde. Il est le cinquième d’une fratrie de six enfants, (deux frères et trois sœurs) et les membres de sa famille sont sourds.

À l’âge de treize ans, Jean entre à l’école pour les sourds à Bordeaux dont l’abbé Sicard est directeur. Jean devient l’élève favori de Sicard.

Au décès de l’abbé de l’Épée, Sicard est nommé pour le remplacer au poste de directeur de l’Institut national des jeunes sourds à Paris. Sicard s’installe donc à Paris où il fait venir Jean Massieu qui obtient le poste de répétiteur à 19 ans, puis professeur. Laurent Clerc est son élève puis devient son collègue et ami. Pendant la période dite « des Cent Jours » qui suivent le retour de Napoléon de l’île d’Elbe, Sicard s’enfuit à Londres avec Laurent Clerc et Jean Massieu.

Après la mort de l’Abbé Sicard, Jean s’installe à Rodez puis à Lille où il fonde l’école lilloise pour les sourds.

Il décède le 23 juillet 1846 à Lille. Ses obsèques ont lieu à Saint-Étienne de Lille et il est enterré à Esquermes, un quartier de Lille. (Wikipédia)

Que dit Jean Massieu de lui-même ? (Extraits de : M. l’Abbé Sicard, Notice sur l’enfance de Massieu, sourd-muet, Lons-le-Saunier, Imprimerie de Courbet, 1851)

« Je suis né à Semens, canton de Saint-Macaire, département de la Gironde. Mon père est mort, dans le mois de janvier 1791 ; ma mère vit encore. Dans mon pays, nous étions six sourds-muets d’une même famille paternelle, trois garçons et trois filles.

Jusqu’à l’âge de treize ans et neuf mois, je suis resté dans mon pays, où je n’ai jamais reçu d’instruction ; j’avais ténèbres pour les lettres. J’exprimais mes idées par les signes manuels ou le geste. Les signes dont je me servais alors, pour exprimer mes idées à mes parents, et à mes frères et sœurs, étaient bien différents de ceux des sourds-muets instruits. Les étrangers ne nous comprenaient jamais quand nous leur exprimions, par signes, nos idées ; mais les voisins nous comprenaient. Je voyais des bœufs, des chevaux, des ânes, des cochons, des chiens, des chats, des végétaux, des maisons, des champs, des vignes, et quand j’avais vu tous ces objets, je m’en souvenais bien.

Avant mon éducation, lorsque j’étais un enfant, je ne savais ni écrire ni lire; je désirais écrire et lire. Je voyais souvent des jeunes garçons et des jeunes filles qui allaient à l’école ; je désirais les suivre, et j’en étais très jaloux. Je demandais à mon père, les larmes aux yeux, la permission d’aller à l’école ; je prenais un livre, je l’ouvrais de haut en bas, pour marquer mon ignorance ; je le mettais sous mon bras, comme pour sortir ; mais mon père me refusait la permission que je lui demandais, en me faisant signe que je ne pourrais jamais rien apprendre, parce que j’étais sourd-muet. Alors je criai très-haut. Je pris encore ces livres pour les lire; mais je ne connaissais ni les lettres, ni les mots, ni les phrases, ni les périodes. Plein de dépit, je mis mes doigts dans mes oreilles, et je demandai avec impatience à mon père de me les faire curer. Il me répondit qu’il n’y avait pas de remède. Alors je me désolai ; je sortis de la maison paternelle, et j’allai à l’école, sans le dire à mon père : je me présentai au maître, et lui demandai, par signes, de m’apprendre à écrire et à lire. Il me refusa durement, et me chassa de l’école. Cela me fit beaucoup pleurer, mais ne me rebuta pas.

Je pensais souvent à écrire et à lire, alors que j’avais douze ans : j’essayais tout seul à former, avec une plume, des signes d’écriture. Dans mon enfance, mon père me faisait faire des prières par gestes, le soir et le matin. Je me mettais à genoux ; je joignais les mains, et remuais les lèvres, en imitant ceux qui parlaient, quand ils priaient Dieu. Aujourd’hui je sais qu’il y a un Dieu qui est le créateur du ciel et de la terre. Dans mon enfance, j’adorais le ciel, non Dieu; je ne voyais pas Dieu, je voyais le ciel. Je ne savais ni que j’avais été fait, ni si je m’étais fait moi-même. Je grandissais ; mais si je n’avais connu mon instituteur Sicard, mon esprit n’aurait pas grandi comme mon corps, car mon esprit était très pauvre; en grandissant, j’aurais cru que le ciel était Dieu.

Alors que les enfants de mon âge ne jouaient point avec moi, ils me méprisaient ; j’étais comme un chien. Je m’amusais tout seul à jouer au Mail, au sabot, ou à courir sur des échasses. Je connaissais les nombres avant mon instruction; mes doigts me les avaient appris. Je ne connaissais pas les chiffres ; je comptais sur mes doigts; et quand le nombre passait dix, je faisais des coches sur un bois. Dans mon enfance, mes parents me faisaient quelquefois garder un troupeau, et souvent ceux qui me rencontraient, touchés de ma situation, me donnaient quelque argent. Un jour, un Monsieur qui passait, me prit en affection, me fit aller chez lui, et me donna à manger et à boire. Ensuite étant parti pour Bordeaux, il parla de moi à M. Sicard, qui consentit à se charger de mon éducation. Le Monsieur écrivit à mon père, qui me montra sa lettre ; mais je ne pouvais pas la lire. Mes parents et mes voisins me dirent ce qu’elle contenait ; ils m’apprirent que j’irais à Bordeaux. Ils croyaient que c’était pour apprendre à être tonnelier. Mon père me dit que c’était pour apprendre à lire et à écrire. Je partis avec lui pour Bordeaux.

Lorsque nous y arrivâmes, nous fûmes visiter M. l’abbé Sicard, que je trouvai très maigre. Je commençai par former des lettres avec les doigts : dans l’espace de plusieurs jours, je sus écrire quelques mots. Dans l’espace de trois mois, je sus écrire plusieurs mots ; dans l’espace de six mois, je sus écrire quelques phrases. Dans l’espace d’un an, j’écrivis bien. Dans l’espace d’un an et quelques mois, j’écrivis mieux, et je répondis bien aux questions que l’on me faisait. Il y avait trois ans et six mois que j’étais avec M. l’abbé Sicard, quand je partis avec lui pour Paris. Dans l’espace de quatre ans, je suis devenu comme les entendants-parlants. »

Dans Le Sourd-muet civilisé, ou Coup d’oeil sur l’instruction des sourds-muets. L.-P. Paulmier, élève et collaborateur de l’abbé Sicard, écrit :

« Jean Massieu, le plus intelligent, le doyen, et le plus connu des sourds-muets, fils d’un honnête vigneron de Semons, village à quelques lieues de Bordeaux, jouit d’une réputation plus qu’européenne ; son nom a passé les mers. Un autre sourd-muet, Laurent Clerc, son émule, l’a fait connaître aux sourds-muets des ÉtatsUnis d’Amérique. À l’âge de treize ans, Massieu fut admis à l’institution des sourds-muets de Bordeaux, par M. l’abbé Sicard, qui avait fondé cet établissement après avoir reçu les leçons de l’abbé de l’Épée, et avant que de succéder à cet immortel bienfaiteur de l’humanité. Dès l’âge le plus tendre, Massieu s’est toujours distingué de ses camarades par ses prodigieuses dispositions. Ce n’est pas seulement de l’intelligence qu’il a, c’est du génie ; et ce qui offre un contraste frappant, c’est qu’avec un esprit aussi élevé il a l’insouciance et l’abandon d’un enfant. Je l’ai vu souvent hésiter à faire la moindre action, dans la crainte de déplaire au plus jeune de ses camarades. Il les consulte sur ses affaires les plus importantes comme sur les moindres bagatelles. Que de fois il est venu et vient encore tous les jours me faire part de ses transes, de ses inquiétudes d’enfant. Il eu le goût des montres, des livres ; et quand cette fantaisie le prend, on le voit chargé de deux, trois, jusqu’à quatre montres, ou bien il achète des livres dans tous les quartiers de Paris. Possède-t-il ces objets tant désirés, il les porte toujours sur lui, dans ses poches, dans ses mains ; il les regarde sans cesse ; il les montre à tout le monde : peu à peu cet engouement diminue, et au bout de plusieurs semaines, il se pousse pour faire place à un autre. Ainsi se sont écoulés ses premiers beaux jours entre l’étude, et ces différents goûts, qui sont ses passions.

Il n’a jamais pu s’assujettir aux usages du monde ; ce n’est pas manque d’avoir vu la meilleure société (je ne dis pas fréquenté) ; il a vu, je le répète, depuis plus de vingt ans, tout ce qu’il y a de plus distingué en Europe; les plus augustes personnages, souverains et princes; les femmes les plus renommées par leurs grâces et leur esprit ; les plus grands hommes dans les sciences, dans les lettres et dans les arts. Avec ce peu d’usage, ses mœurs sont simples ; une grande vivacité à laquelle se mêle une légère brusquerie, ajoute un trait de plus à son caractère sans être un défaut.

Son imagination brillante éclate en traits de feu dans ses réponses, quelquefois incorrectes, parce qu’il n’y observe pas servilement les règles souvent arbitraires de la langue française ; mais elles sont toujours conformes à la saine logique et à la grammaire générale; Ne sait-il pas un mot, il l’invente en suivant, avec la plus scrupuleuse fidélité, les principes de l’analogie. Ces légères taches, aux yeux d’un puriste froid, qu’on pourrait ranger, pour notre sourd-muet, avec les usages capricieux du monde, qu’il néglige également, sont bien rachetées par l’originalité de ses pensées, le coloris de ses images, la justesse de ses comparaisons et de ses métaphores tout orientales. On croirait lire quelque passage des prophètes. Ce qu’il y a d’admirable, c’est qu’il rédige et improvise avec rapidité. Ses réponses sont en forme de petits discours, dans lesquels il sait mêler avec art la description à la définition, sans la moindre hésitation, tellement qu’on pourrait croire qu’il est toujours disposé à répondre. Aussi M. Sicard a-t-il dit à ce sujet, en se servant d’une comparaison simple, mais juste et expressive, que faire une question à Massieu, c’est comme si l’on frappait la pierre avec le briquet, aussitôt l’étincelle jaillit. Ses réponses semblent alors couler de source. On a vu pendant longtemps, aux séances publiques de l’institution un spectacle digne de fixer l’attention du philosophe moraliste, Massieu et Clerc rivaliser de zèle et d’émulation, faire des réponses qui excitaient l’admiration et l’attendrissement de l’assemblée, composée de plus de trois cents personnes de tous les pays et de toute condition. Chacun s’empressait de copier ces réponses, que l’on recherche toujours avec un vif intérêt. »

 

Voir aussi :

Citation de Jean Massieu : « la reconnaissance est la mémoire du cœur »

Le nom-signe de Jean Massieu est « tire une montre de son gousset » : https://youtu.be/SRmeD6By-5Y

Jean Paul Collard, ancien professeur à l’I.N.J.S. de Bordeaux, a publié une série d’articles sur Jean Massieu, sur le site internet de la mairie de Semens, lieu de naissance de Jean Massieu : http://www.mairiedesemens.fr/index.php/les-causeries-du-boudeur

Massieu, Jean; Laurent Clerc; and Roch Ambroise Cucurron Sicard. 1815. Recueil des définitions et réponses les plus remarquables de Massieu et Clerc, sourds-muets, aux diverses questions qui leur ont été faites dans les séances publiques de M. l’abbé Sicard à Londres, Londres, imprimé pour Massieu et Clerc, par Cox and Baylis, Great Queen Street, Lincoln’s-Inn-Fields.

Massieu, Jean. 1808 : Nomenclature ou tableau général des noms, des adjectifs énonciatifs, actifs, et passifs, et des autres mots de la langue française, selon l’ordre des besoins usuels et selon le degré d’intérêt des objets et de leurs qualités

Procès de François Duval, sourd et muet de naissance, accusé de vol avec effraction et attroupement, jugé et acquitté par le deuxième Conseil de guerre de la dix-septième division, sous la curatelle du citoyen Sicard, recueilli littéralement par J.B.J. Breton, stenographe, Paris, Desenne, an VIII-1800

Christian Dumaître, Jean Massieu – Un girondin de Semens, 1er pédagogue sourd-muet, 2019, autoédition, dumaitre.christian@orange.fr

Luc Dandral, Jean Massieu – 1772-1846: Né sourd, premier répétiteur des sourds, Eclat d’héliodore, 2020

Yann Cantin, « Jean Massieu, le premier enseignant sourd du xixe siècle » http://cernach.free.fr/pictomag/Bio5.JPG

Patrice Gicquel, Il était une fois… les sourds français, Paris, Éditions Books on Demand, 2011

Cathryn Carroll, Jeunesse de Laurent Clerc, Airelle Editions, 2017

Angélique Cantin et Yann Cantin, Dictionnaire biographique des grands sourds en France, 1450-1920, préface de Bernard Truffaut, Paris, Archives et Culture, 2017

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Massieu

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