Marie-Pauline Larrouy (3)
Monitrice à l’école des sourds de Bordeaux
Pauline naît à Pau en octobre 1834 sous le règne du roi Louis-Philippe. Son père est professeur, son grand-père paternel, employé à l’octroi, son grand-père maternel, notaire. Pauline appartient donc à la bourgeoisie provinciale éduquée. Quand elle arrive à l’Institut royal des sourds-muets de Bordeaux, à 9 ans, elle sait probablement déjà beaucoup de choses. Elle est vite repérée comme une élève brillante et effectue les six années d’études en tête de classe. Aussi, c’est tout naturellement qu’elle prolonge son séjour dans l’établissement et acquiert un nouveau statut.
En effet, le règlement intérieur de l’école prévoit la disposition suivante : “Les élèves qui se font remarquer par leur conduite, leur intelligence et le succès dans leurs études, peuvent obtenir, […] s’ils se destinent à l’enseignement, une prolongation de séjour.” Trois années supplémentaires sont possibles. Les élèves reçoivent alors le titre de moniteur ou monitrice.
Donc, dès l’âge de 14 ans, Pauline seconde la mère supérieure dans trois classes : la deuxième, la cinquième et la sixième année d’études.
La situation administrative des monitrices sourdes-muettes est complexe. Le règlement prévoit leur nomination pour trois ans après la fin de leurs études. Durant ce temps-là, elles gardent encore un statut d’élève. C’est le cas de Pauline pour laquelle le département des Basses-Pyrénées continue à verser une bourse annuelle. Mais, dès qu’on dépasse les trois années de prolongation, la situation n’est plus claire.
Pour les garçons, la hiérarchie est simple. On est élève, bon élève, on devient moniteur à la fin de ses études, puis aspirant quand on souhaite embrasser la carrière d’enseignant. D’aspirant, on devient maître d’études, répétiteur et enfin professeur. C’est le parcours que suivra Ferdinand Berthier à l’Institut de Paris.
Pour Pauline, les soucis vont commencer.
En 1849 et 1850, les têtes changent à la direction de l’Institut. Valade-Gabel laisse sa place de directeur à Édouard Morel. C’est aussi un ancien professeur de l’Institut des sourds de Paris. Comme Valade, il parle la langue des signes et est le premier directeur à traduire pour les élèves les discours de fin d’année. Après lui, l’habitude se perdra.
La supérieure change elle aussi : c’est sœur Éléonore ancien professeur qui prend le poste. Le courant passe mal entre ce nouveau directeur et la mère supérieure. Pauline en fait-elle les frais ?
En 1852, Pauline exerce ses fonctions de monitrice depuis déjà quatre années. Elle a 18 ans. Le directeur, Édouard Morel, propose à la commission consultative de l’établissement de transformer le poste de Pauline pour qu’elle devienne monitrice rétribuée : 120 francs par an. Mais, les Dames de Nevers tiennent à leurs prérogatives et refusent de voir des jeunes filles devenir enseignantes. Monitrices, pourquoi pas, mais professeurs jamais ! L’évêque de Nevers intervient et appuie les sœurs. Pas question de faire côtoyer enseignantes religieuses et laïques !
Pourtant, à la demande du directeur, approuvée par la commission consultative, le ministre de l’Intérieur accorde à Pauline le statut de monitrice rétribuée. Elle n’est plus élève de l’établissement et en devient fonctionnaire. Comme ses collègues masculins, elle est nourrie, logée et blanchie dans l’institution.
Pauline a la vocation. Elle aime apprendre, elle aime transmettre, elle aime le contact avec ces élèves qui arrivent un peu perdues dans ce grand établissement souvent bien éloigné de leur région d’origine. Mais très vite elle s’ennuie. Elle s’ennuie de sa famille, de sa mère surtout. De plus, mère Éléonore ne reconnaît pas son travail. De nos jours, on parlerait de mise au placard. Elle se plaint d’abord à l’aumônier et au directeur. À sa mère, elle écrit en cachette et lui parle de retour à Pau où elle pourrait gagner sa vie en donnant des cours.
Les années passent. Édouard Morel décède le 22 février 1857. En juin, Pauline demande un congé “pour se remettre”. Un an plus tard, c’est au tour de la mère Éléonore de partir. Elle est remplacée par sœur Nathalie Portat. La santé de Pauline se dégrade. Le médecin de l’établissement demande pour elle un congé de six mois afin qu’elle puisse se reposer dans sa famille. La convalescence se prolonge. Elle part faire une cure et ne revient qu’un an plus tard.
Quelques années après – Pauline a maintenant 34 ans – elle demande encore un congé de six mois qui lui est accordé à partir du 1er janvier 1869. Sa mère, tendrement aimée, meurt le 25 janvier suivant. Pauline ne revient pas dans l’institution bordelaise et démissionne de son poste de monitrice rétribuée.
Son salaire s’élève alors à 180 francs par an. À titre de comparaison, une religieuse enseignante reçoit 300 francs, alors qu’un professeur laïc en perçoit 1 800 en début de carrière. Ni progression, ni avenir pour les monitrices. Elles gardent toutes le statut d’élèves et restent d’éternelles mineures. Pauline sera la seule et l’unique à être payée. Suite à sa démission, le nouveau directeur, Martin Etcheverry, supprime le poste de monitrice rétribuée, mais continue à verser à Pauline une rente de 200 francs.
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