Histoire de la surdité (séminaires)

L’EHESS organise diverses formations en lien avec la surdité, notamment le séminaire : Construire une histoire du handicap et de la surdité à travers les siècles

https://enseignements.ehess.fr/2023-2024/ue/163

Présentation :

Pour la troisième année consécutive, le séminaire « Construire une histoire du handicap et de la surdité à travers les siècles » propose de bâtir une réflexion autour des recherches sur l’histoire du handicap, de la surdité et des troubles psychiques. L’objectif est de mettre en relation des recherches qui s’effectuent souvent en parallèle et de constituer un réseau scientifique qui dépasse les limites actuelles, en faisant converger notamment des historien·e·s  qui, depuis les vingt dernières années, renouvellent les trois champs de recherche par des approches, des méthodes et des objets nouveaux. Les communautés scientifiques s’intéressant à l’histoire du handicap, de la surdité et des troubles psychiques de l’espace francophone se sont plutôt construites autour des thématiques (cécité, surdité, psychiatrie) ou des périodes historiques et des aires culturelles précises (histoire du handicap du XXe siècle, ou dans l’Europe médiévale). À l’époque contemporaine ces communautés de recherche ont pris des chemins divergents. Du côté de la surdité, l’historiographie a fondé ses approches sur une conception socio-anthropologique des sourds et de la langue des signes en laissant le concept de surdité rivé à une histoire médicale de la déficience ou tout au moins, à une histoire de catégories technico-institutionnelles et à sa critique. Du côté de l’histoire du handicap, une partie de la recherche s’est centrée sur l’histoire institutionnelle du handicap et sur les politiques publiques de sa prise en charge. La Deaf History, la Disability History et la Mad History ont construit ainsi leurs propres réseaux scientifiques internationaux et leurs propres épistémologies avec une certaine distanciation voire cloisonnement.

Si les histoires du handicap et de la surdité s’entremêlent au cours de l’époque contemporaine (l’origine de l’éducation des sourds et des aveugles remonte au XVIIIe siècle, les sourds luttent d’ailleurs aux côtés des aveugles pour conquérir le droit à une éducation gratuite, laïque et obligatoire au cours des années 1930), les historiographies de l’une et de l’autre ne se croisent que rarement. Les thématiques centrales divergent selon les époques : les chercheurs intéressé·e·s par les époques médiévale et moderne prêtent un intérêt considérable au poids de la religion, ce qui n’est pas le cas pour l’époque contemporaine. La littérature historique sur la période contemporaine a évolué d’un intérêt pour les politiques publiques, pour l’action des institutions éducatives ou associatives ou pour les trajectoires biographiques (des grands personnages historiques comme les médecins ou les éducateurs), vers des approches transnationales ou davantage biographiques, ou vers des approches plus intersectorielles, prenant en compte le genre ou la race. Quelques travaux historiques commencent à intégrer le paradigme intersectionnel dans leurs recherches, où le « handicap » est conceptualisé comme l’une des multiples caractéristiques identitaires de l’individu. Dans le champ de la Mad History, l’historiographie s’est intéressée récemment aux alternatives thérapeutiques à l’institutionnalisation, aux trajectoires de vie des personnes concernées, et aux relations entre les institutions et les familles.

Nous souhaitons donc poursuivre et formaliser l’élan de l’année universitaire précédente, afin de contribuer à la fois à la diffusion des travaux récents ou en cours ; à la formation des jeunes chercheurs ; ainsi qu’à la structuration d’un réseau francophone de recherche sur l’histoire du handicap et de la surdité toutes périodes historiques confondues.

 

A noter, parmi les interventions :

 

Pauline Teyssier, (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,Institut d’histoire moderne et contemporaine (IHMC)), « Des citoyens à intégrer : la prise en charge des sourds-muets, des aveugles et des aliénés par l’État. Le rôle des institutions nationales (Révolution française-début du XIXe siècle) »

« Avant la découverte des procédés salutaires que nous connaissons, la dure nécessitée forçait leurs frères à les plaindre sans entreprendre de les guérir, mais aujourd’hui ne serions-nous pas coupables de lèze-humanité si, par notre insouciance, nous laissons échapper les moyens connus de les consoler dans leur infortune ! Épargnons-nous ce remords et ne laissons pas ce regret à la postérité […] ». En introduisant cette nouvelle notion de crime de « lèze-humanité », Louis-François Alhoy (1760-1826), instituteur puis directeur entre 1797 et 1799 de l’Institut des sourds-muets de Paris, entend dénoncer l’indifférence coupable dont les sourds-muets ont fait l’objet jusqu’alors. La question de la prise en charge des sourds-muets, des aveugles et des aliénés fait en effet l’objet de nombreux débats pendant la Révolution française. Pour les révolutionnaires, l’enjeu est de se réapproprier le monopole que possédait l’Église sur l’assistance aux pauvres et aux infirmes, mais aussi de poser une question qui devient essentielle dans ce moment de recomposition politique et sociale : quelle place accorder aux infirmes dans cette nouvelle communauté politique en construction ? Tout sujet étant amené à devenir citoyen, l’enjeu de l’intégration de ces individus souvent considérés comme marginaux s’impose comme un impératif national, et se traduit notamment par la mise en place d’institutions nationales, placées sous tutelle du ministère de l’Intérieur et financées, en partie, sur des fonds publics. Ces institutions diffèrent dans leur fonctionnement mais contribuent, chacune à leur échelle, à catégoriser ces populations par leur prise en charge spécifique.

 

Andrea Benvenuto (maitresse de conférences à l’EHESS – Collectif de recherche Les Deaf Studies en question) & Mike Gulliver (chargé de recherche au Deaf Studies Trust – Bristol), « Les banquets des sourds-muets : un espace sourd dans et hors des murs de l’Institut »

Cette communication s’inspire d’un article qui accompagne la publication prochaine d’un ouvrage dédié à l’histoire de l’Institut national de jeunes sourds de Paris. La renommée de l’Institut s’est forgée à partir de l’héritage de l’abbé de L’Épée et de l’enseignement en langue des signes alors même que celle-ci était bannie des salles de classe, marquant, selon les Deaf Studies, la période la plus sombre de son histoire. La mise à l’écart progressive des enseignants sourds et de la langue des signes tout au long du xixe siècle et l’ère ouvertement oraliste qui commence au tournant du xxe siècle, ont placé l’Institution parisienne au centre de critiques dénonçant ces mesures d’oppression des sourds. Si nous avons choisi d’apporter une pierre à l’écriture de l’histoire de l’Institut des Sourds de Paris, en prenant appui sur les banquets des sourds-muets et en nous servant de la notion d’espace sourd, c’est bien parce que les banquets portent à la fois une réponse aux tensions linguistiques et politiques vécues par les sourds à l’intérieur des murs de l’Institut des sourds de Paris. En même temps, ils ne peuvent être analysés sous le seul angle de la réaction à une politique, aussi défavorable soit-elle aux intérêts des sourds. Les banquets représentent un moment capital dans la reconfiguration de la scène en termes égalitaires (Benvenuto, 2009, 2013), là où la réalité alternative d’une humanité signante transperce le monde « normal » et se manifeste dans un lieu spécifique, avec une puissance politique propre (Gulliver, 2004, 2009).

 

Arnaud Paturet (CNRS, centre de théorie et analyse du droit, École normale supérieure/Nanterre Université), « Histoire de la surdité à l’époque antique »

Si la différence et la déficience corporelles n’apparaissent que modérément dans les législations modernes, hormis celles qui visent l’érection du handicap au sens large comme catégorie spécifique, les textes des juristes romains contenus dans divers recueils (Digeste, Sentences de Paul, Code et Institutes de Justinien, Règles d’Ulpien) recèlent des références à diverses formes d’anormalités physiologiques. Ils raisonnent comme un écho aux textes littéraires, ceux-ci fournissent des témoignages au regard de l’exclusion ou de l’acceptation de la différence physiologique selon les cas et les époques. Parmi les sources juridiques, la surdité occupe 32 textes sur la masse juridique documentaire qui nous est parvenue. Les juristes distinguent la défaillance auditive, même sévère, de la surdité totale (D.44.2.1.15). Une fois cette séparation établie, deux hypothèses sont à prendre en compte lorsqu’il s’agit par exemple de contracter des obligations. D’abord celle de la stipulatio qui requiert une interrogation et une réponse afin d’exprimer la promesse d’une action future. Ici ni le muet, ni le sourd ni l’enfant, ni l’absent ne peuvent contracter. En revanche, quand l’obligation n’implique pas la parole au plan formel, les opérateurs du droit sont plus souples. Le juriste sévérien Paul nous indique au D.44.7.48 que dans les affaires où les paroles ne sont pas nécessaires et dans lesquelles le consentement suffit, un sourd peut être contractant parce qu’il lui est possible de comprendre les termes de l’accord. Ainsi, on constate que le droit romain classique n’a pas traité la surdité comme une déficience qui, par principe, pourrait barrer l’accès au droit pour les protagonistes. Les seules restrictions qui subsistent sont celles afférentes aux formes du droit si chères aux juristes Romains.

 

Dirksen Baumann (professeur et directeur du centre des Deaf Studies, Université Gallaudet, E.-U), « Perte auditive : comment les personnes entendantes souffrent du phonocentrisme  »

Ce séminaire propose une nouvelle façon de considérer la « perte d’audition » – non pas comme le manque d’audition qui définit la surdité, mais comme le manque que les personnes entendantes ressentent lorsqu’elles ne parviennent pas à intégrer la conscience du gain sourd.  La plupart d’entre nous n’ont pas conscience d’être des personnes entendantes ; pourtant, dès que nous prenons conscience d’être « entendants » dans le contexte de la communauté sourde, nous prenons conscience de la contingence de ce point de vue épistémologique particulier. Ce séminaire présentera les symptômes des privations créées par une orientation phonocentrique non examinée – y compris les façons limitées dont nous avons défini ce qui est et n’est pas une langue, les façons dont nous avons conçu notre environnement bâti, le manque de contact visuel soutenu, et la vulnérabilité au stress accru causé par la pollution sonore. Mettre en avant ces incarnations de la « perte auditive » permet de décentrer l’audition comme une position de privilège par défaut.

Inscription au séminaire : https://injs-bordeaux.org/blog/ehess/

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