Histoire du français (1)
extrait de la frise chronologique : https://www.atilf.fr/actualites/frise-histoire-du-francais/
Alain Rey (ed.), Mille ans de langue française, Ed. Perrin, 2007 (1476 pages) – résumé
Aux origines du français
L’histoire d’une langue est toujours celle des peuples qui ont occupé le territoire sur lequel elle s’est développée. Ainsi, le français porte la marque des premières populations développées en France. Des toponymes de rivières et ruisseaux proviennent de populations pré-indo-européennes et pré-celtes, entre 2000 et 1000 avant notre ère. Par exemple, la racine car- (pierre) se retrouve dans différentes langues de France, d’Italie, d’Espagne, d’Afrique du nord… et a donc une origine pré-indo-européenne. La racine Cucq- (en hauteur) se retrouve en Italie, Corde, Sardaigne… et a une origine pré-celtique.
La Gaule a été partagée entre différentes populations, et donc différentes langues : le gaulois, le grec, l’ibère, le ligure et le germain. En 620 av J.C., des colons venus de Phocée, ville ionienne, fondent Marseille. Celle-ci se développe et de nombreux échanges sont établis avec les différents peuples de Gaule. Quelques termes grecs sont passés en français, via l’influence de Marseille.
La langue ibère influence le sud de la Gaule et le Languedoc. Comme le toponyme artiga (terre défrichée). Des toponymes en –os se répandent dans le Béarn. Ce suffixe apparaît uni à des noms propres gaulois comme Argelos (Argailo + os), Giscos (Gesacus + os) et à des noms romains comme Abos (Avus + os) ou Aulos (Aulus + os).
Les ligures occupent une large part de la Provence. Certains toponymes en proviennent, comme Alpes, ou les suffixes – oscu et –asca.
Provenant de l’Est vers le 8ème siècle, les Celtes ont conquis de vastes territoires au 5ème siècle. La culture celtique se méfie de l’écrit et l’utilise rarement. A partir de 300, les Germains se répandent, et repoussent les Celtes.
Les peuples de la Gaule laissent des traces dans les toponymes, comme les Séquanes (Seine), les Lingons (Langres), ou les Bituriges (Bourges).
La Gaule conquise par les Romains comporte donc des grecs, ligures, aquitains, ibères et germains, regroupés sous le nom de gaulois.
De 200 à 100, Rome conquiert le sud (transalpine, narbonnaise). Les trois Gaules (belges, aquitains, celtes) sont conquises au 1er s. av J.C. Mais les locuteurs de langue latine sont surtout dans la Narbonnaise.
Les légionnaires et des membres de familles de notables reçoivent le droit de cité romain, avec tous ses avantages. La romanisation se diffuse. Des écoles forment l’élite à la culture romaine. La pax romana dure jusqu’à la fin du 2ème s. ap J.C.
Au 3ème s. ap. J.C., la Gaule est traversée par des hordes d’Alamans et de Francs. L’implantation de troupes germaniques romanisées laisse des toponymes (Alains, Alamans, Francs, Sarmates…).
Comme toute langue, le latin est un « diasystème ». Il ne s’agit pas d’un système idéal maîtrisé par tout locuteur, mais de sous-systèmes étroitement apparentés qui correspondent à des usages distincts mais proches. Ces variétés linguistiques sont reliées par un diasystème commun qui assure l’intercompréhension et la conscience d’appartenir à une même communauté linguistique. Varron, Cicéron, Quintilien… distinguent notamment le parler urbain et le parler paysan : « Le bon ton suppose qu’il n’y ait rien qui détonne, rien de campagnard, rien de fade, rien d’étranger » (Quintilien, Institution oratoire). Ainsi, le latin qui se répand en Gaule est davantage celui des marchands et des fonctionnaires, plus que celui de la noblesse romaine.
Langue parlée et langue écrite diffèrent. Ainsi, des termes abstraits de la langue écrite sont remplacés par des termes plus concrets dans la langue parlée qui préfère également des termes spécifiques plus expressifs, les termes dont la forme est motivée, et des termes aux conjugaisons moins irrégulières. De même, des innovations populaires remplacent des termes écrits. Ces évolutions se répandent lentement, selon les circonstances et les couches sociales.
Une longue période de bilinguisme a vu cohabiter le gaulois et le latin. Cette lente diffusion du latin, étalée sur plusieurs générations, a rendu cette évolution inconsciente pour les locuteurs. Les romains n’ont pas imposé le latin par la force. Ainsi, beaucoup de noms de villes proviennent du gaulois.
Se développe une interlangue, entre le gaulois et le latin (« semi-créolisation »). Ce n’est que vers la fin du 5ème s. que le gaulois tend à disparaître. Environ 150 mots français sont d’origine gauloise, notamment des mots exclus des activités de transaction, des noms d’animaux, de plantes, de l’agriculture, des vêtements, de l’alimentation, du paysage. Les noms de lieux sont d’origine gauloise et celte.
Le latin se répand aussi en même temps que le christianisme. Le latin chrétien est plus populaire que le latin classique. Le latin chrétien invente de nouveaux mots, et détourne le sens de certains mots classiques. La diffusion des écrits chrétiens donne au latin chrétien un statut de norme littéraire. « Mieux vaut nous faire réprimander par les grammairiens que de ne pas être compris par le peuple. » St Augustin
Le latin classique des lettrés est de plus en plus remplacé par le latin oral chrétien. La Narbonnaise, conquise précocement, a également été latinisée précocement. Elle subit fortement les évolutions de la langue de Rome. Une part du lexique spécifique de l’occitan est marquée par cette latinité plus ancienne. Progressivement, le latin se diffuse à Lyon, au Nord, au Centre…
A la fin du 3ème s., les goths, issus de Scandinavie, se séparent en deux branches : Ostrogoths (à l’est) et Wisigoths (au nord du Danube). Au 5ème s., les wisigoths mettent Rome à sac, puis s’installent en Gaule, notamment Narbonne, Toulouse et Bordeaux. Repoussés par Clovis, les wisigoths de replient en Espagne. L’Aquitaine subit peu l’influence germanique. Au sud de l’Aquitaine se développe une langue propre, le gascon.
5ème – 10ème siècles
A partir du 5ème s., les invasions « barbares » germaniques ont marqué certaines régions conquises. Ainsi, les saxons ont laissé des traces dans la toponymie dans les régions de Calais et Boulogne. Aux Pays-Bas, Suisse, Alsace, Rhénanie… la langue germanique supplante la langue romaine.
Sous la pression des saxons, les celtes se réfugient en Armorique, notamment des gallois, parlant le gaélique. Cela provoque des conflits entre les bretons et les Francs. Les Francs sont une fédération de tribus germaniques. Ils se répandent dans le Nord de la Gaule au 5ème s. Puis vers le sud, Toulouse et Bordeaux au 6ème s.
Se développe un bilinguisme (langue politique – germanique – vs langue culturelle et religieuse – latin). Progressivement, les Francs se romanisent. Ainsi, le système fiscal de Rome, toujours en vigueur, nécessite de parler latin.
A la fin du 5ème s., la grande moitié sud de la Gaule est divisée en deux royaumes : wisigoths à l’ouest, burgonde à l’est (de confession arienne). Mais le baptême de Clovis, la conversion au catholicisme, répand la romanité. Les Burgondes, germaniques, occupent le lyonnais.
Le bilinguisme germanique / latin répandu dans certaines régions, se tarit peu à peu : au 8ème s., le germanique perd son influence. Les Francs, au départ germanophones, ne désignent plus, au 8ème s., que les habitants du Nord de la Gaule, puis progressivement, les habitants de la Gaule, sans référence à la langue germanique.
Le latin subit l’influence du francique, comme pour les noms de personnes et de lieux. Ainsi, sénéchal, chambellan, baron, trêve, gage, rang, dard, épieu, flèche… Aujourd’hui, 600 à 700 mots français sont empruntés au francique. Ainsi que les parties du corps, la flore et la faune, la culture du sol… L’installation des Francs sur le nord de la Gaule a fortement influencé l’avenir du français.
Aux 6ème et 7ème s., la maîtrise du latin écrit et de la latinité classique périclite. A tel point qu’un concile de 533 demande qu’on n’ordonne pas un prêtre ou un diacre illettré ! Seuls les membres du clergé maîtrisent l’écrit. La langue parlée se sépare de plus en plus de la langue écrite.
Au 8ème s., les carolingiens remplacent les mérovingiens. Charlemagne veut stabiliser, unifier la pratique de la langue latine. Il crée des écoles dans les monastères et évêchés. La « réforme carolingienne » vise une norme officielle. Différents manuels de grammaire et orthographe du latin écrit et oral sont diffusés. Mais ce latin réformé est celui des clercs, non celui du peuple. Ainsi, les textes écrits du clergé doivent être « traduits », à l’oral, en latin des illettrés ou en germanique.
Le « latin d’illettré » n’est pas celui visé par la réforme carolingienne : aux 8ème – 9ème s., se développe la conscience langagière d’une distinction entre ces deux langues. De 750 à 850 apparaissent les anciennes formes du français, dans certains vocabulaires et traits syntaxiques. La Gaule entre dans une phase de transition linguistique. On met en parallèle des termes ou phrases latines / celles dans le parler populaire.
Le Serment de Strasbourg en 842 est diffusé en langue romane et en langue germanique. Mais le latin reste la langue du gouvernement, des contrats… Le Serment de Strasbourg ne marque pas la naissance du français. Le français se développe par la séparation progressive du latin des lettrés du latin vernaculaire. La langue écrite du Serment est un intermédiaire entre le latin parlé des lettrés et celui des illettrés. La forme écrite du Serment a une tendance phonétique.
Peu à peu, la langue romane prend une forme écrite. Mais la forme écrite de la langue d’oc n’est pas attestée avant le 9ème s.
La langue germanique fait l’objet de mises par écrit. Le français suivra le même chemin. Ainsi, des textes mêlent le latin et la langue vernaculaire.
Le parler latin n’a pas disparu d’un coup : le latin parlé des illettrés est progressivement qualifié de « roman » – c’est sa dénomination qui change, pour le distinguer du latin normé des clercs. Seul le latin écrit classique devient une langue morte.
La latinité carolingienne est multiple, entre le latin des illettrés, le latin de la réforme carolingienne, le latin des prédicateurs…
Les évolutions du latin vers le roman sont progressives : d’abord phonologiques, puis grammaticales. Au début du 8ème s., la déclinaison des cas (accusatif, génitif, datif, ablatif) des noms et adjectifs disparaît de la langue parlée.
Le français est distingué du latin dès le début du 9ème s. dans le Nord, vers l’an mil dans le sud (pour la distinction entre latin et langue d’oc), au 10ème et 11ème s. pour l’occitan ou l’espagnol.
Au 10ème s., la langue d’oc reçoit une notation écrite. Le basque subsiste comme langue parlée des vallées pyrénéennes. Le gascon se coordonne avec l’occitan. Fin 10ème s., le catalan se distingue de l’occitan. Le Sud-Est voit se distinguer le francoprovençal.