Histoire du français (5)

extrait de la frise chronologique : https://www.atilf.fr/actualites/frise-histoire-du-francais/

Alain Rey (ed.), Mille ans de langue française, Ed. Perrin, 2007 (1476 pages) – résumé

16ème siècle

V. S’affranchir du latin

La Renaissance a une influence linguistique à partir de la fin du 15ème s. en Italie, milieu du 16ème s. en France.

Le passage de l’ancien français au français moderne se déroule essentiellement entre 1530 et 1540.

1539 : ordonnance de Villers-Cotterêts (François Ier) : les actes judiciaires doivent être « prononcez, enregistrez et delivrez aux parties en langaige maternel françois ». La date d’août 1539 est symbolique, mais en fait, paraît toute une série d’édits similaires dès 1490, ou encore en 1510 – mais l’influence du latin perdure. Objectif : rendre les décisions de justice accessibles, non ambiguës.

1530 : création du collège des lecteurs royaux (ancêtre du Collège de France)

1530 : première grammaire connue du français : John Palsgrave, Lesclaircissement de la langue françoise

1532 : Rabelais, Pantagruel 1534 : Rabelais, Gargantua

1549 : Du Bellay : Deffence et illustration de la langue françoise

Le 16ème s. connaît la prospérité de la France. De nombreuses traductions paraissent pour transmettre le savoir, réforme de l’administration, évolutions du domaine juridique : droit coutumier, création de parlements…

Au 16ème s., dans un certain nombre de régions, les textes juridiques n’étaient plus rédigés en latin mais en dialecte local, comme l’occitan, le gascon, le catalan. Mais le français se répand de plus en plus.

1450 : invention de l’imprimerie. 1ère moitié du 16ème s. : multiplication des imprimés, d’abord essentiellement en latin, puis de plus en plus en français : plus de 50 % en 1575. Il s’agit de textes religieux, traités pratiques, romans, chansons de gestes…

En 1530-1540 sont diffusées les normes typographiques du français.

En médecine, la chirurgie passe en premier au français, comme Ambroise Paré, qui ne connaissait ni le latin ni le grec.

L’arithmétique se diffuse en français, comme l’astronomie, les sciences naturelles, la philosophie.

Erasme et Luther sont promoteurs des langues vulgaires dans la vie spirituelle. 1522 : parution de la traduction de la Bible par Luther De 1523 à 1525, traductions de Lefèvre dEtaples. Puis Guillaume Farel.

Mais s’élèvent des résistances contre cette diffusion du français. En 1525, les maîtres de la Sorbonne demandent le retrait des traductions. En 1527, des propositions d’Erasme sont condamnées. Le français, pour la Bible, devient exclusivement le domaine des protestants. Bible de Pierre Robert (Olivetan). 1541 : Calvin : Institution de la religion chrétienne,

Deuxième moitié du 16ème s., de nombreux textes légitiment la Bible en latin. Le Concile de Trente (1562-1563) énonce des restrictions pour l’usage des traductions des textes sacrés. Deuxième moitié du 16ème s., sont produites des traductions bibliques en béarnais et occitan. De 1530 à 1550, le français se libère de l’emprise du latin.

Vers 1500, la population paysanne représente au moins les 9/10 du royaume. La plupart des villes sont relativement peu peuplées (Bordeaux : 20000 habitants). Il existe une grande diversité des dialectes.

Palsgrave, dans sa grammaire, suit surtout « les parisiens et les régions qui se trouvent entre la Seine et la Loire », comme Henri Estienne. Mais le français ne touche qu’une partie de la population, et surtout dans certains domaines. Les langues régionales sont diverses et respectées. A Bordeaux par exemple, les actes notariés sont en français, anglais, gascon et latin.

Le clergé est souvent trilingue : latin, français, patois. Les responsables politiques ou administratifs sont souvent bilingues. Mais la majorité des paysans est unilingue (patois).

Le dialecte francilien devient graduellement langue de prestige : fonctions dans la religion, l’enseignement, l’administration, le droit, la littérature… objet de codifications, grammaires, règles graphiques… Les dialectes, langues du quotidien, ne sont pas enseignés mais transmis par la famille. C’est surtout l’importance du roi siégeant à Paris qui a déterminé le francilien comme langue nationale.

Jusqu’au 17ème s., les dialectes sont largement tolérés, mais avec un statut inférieur : langues barbares, rudes, mal polies… La langue de prestige est associée aux bonnes mœurs. Les élites locales l’adoptent.

Le français parlé peut faire l’objet de variantes dans les prononciations, parfois abandonnées au bout de quelques années ou dizaines d’années, avant, parfois, de réapparaître. Ces prononciations « défectueuses » sont combattues. Le français de prestige écarte les variations géographiques et sociales.

La domination du francilien écrase les dialectes proches : picard, normand.

Le désir de conserver les patois entraîne le développement d’écrits : recueils de chansons, de romans… parfois avec moquerie ou satire. Des écrits paraissent en breton, poitevin, normand, savoysien, beaujolais. De nombreux écrits paraissent en occitan au « siècle d’or » au 16ème s.

Au 16ème s., le latin continue à être pratiqué par les gens de droit, les lettrés, les scientifiques et les gens d’Église. Il s’agit d’une langue véhiculaire. Mais sa prononciation évolue. Le latin servait souvent de sélection, d’accès à certaines professions.

Il existe une recherche d’un latin classique. Mais le latin oral modifié par le temps est dévalorisé. Le latin classique est objet d’étude, mais n’est plus langue vivante – place laissée au français. Entre le 16ème s. et le milieu du 17ème s., ce souci du latin classique s’accompagne d’une réflexion sur le français : l’ancien français peut-il s’enrichir ? On assiste à une grande période de relatinisation du français : 43 % du vocabulaire français actuel date de cette époque ! Création de doublets, de nouveaux sens et expressions, nouvelles consonnes, glissements de sens… hospitalem = hôtel + hôpital, fragilem = frêle + fragile, fabricam = forge + fabrique, liberare = libérer + livrer… champ/camp, chance/cadence, loyauté/légalité, entier/intègre, écouter/ausculter… Deux états de langue, datant d’époques différentes se côtoient ! Une grande quantité de mots nouveaux se répandent, la phonologie évolue également.

Mais après la mode de la latinisation, des critiques se font jour, et succède une mode de délatinisation. Rabelais se moque des « écumeurs de latin ».

Pour enrichir le français, il existe d’autres méthodes. Pour Du Bellay et Ronsard, par exemple, il s’agit d’adopter des archaïsmes ou des provincialismes, ou créer des mots composés. Egalement, on emploie des infinitifs ou des adjectifs comme noms.

Au 16ème s., de nombreux mots français sont pris à l’italien : fatigue, intrigue, balcon, arcade, concert, opéra, infanterie, escadron, cavalerie, alarme, alerte… environ 400 mots au 16ème s. Certains se moquent de ces italianismes. Au début du 16ème s., on redécouvre le grec.

Dès le 14ème s., Dante critique le latin comme langue d’usage, langue artificielle, remplacée au quotidien par les langues « vulgaires ». Au 16ème s., l’idée que le latin est une langue morte fait son chemin.

Pour Jacques de Beaune, en 1547, le français a autant de grâce que le latin ou le grec.

1549, Du Bellay, Deffence et Illustration de la langue françoise : il faut renoncer à la filiation pesante du latin. Il reprend les arguments de Speroni par rapport à l’italien (1542 : Dialogo delle lingue).

Pour Du Bellay, les langues sont perfectibles, entièrement dépendantes des mains de l’homme : « tout leur vertu est née au monde du vouloir et arbitre des mortelz ». Aucune langue n’est indissociable de la « culture de la langue », de l’illustration qu’en font les écrivains. « Chacune Langue a je ne scay quoi propre seulement à elle ».

Au 16ème s. paraissent de nombreux dictionnaires plurilingues. Fin 15ème s., Calepino : première lexicographie moderne (11 langues). 1531, Robert Estienne : Dictionarium latinogallicum, premier vrai dictionnaire paru en France (du latin au français). 1539 : du français au latin. Il s’agit de dictionnaires partiels, de synonymes, recueils spécialisés par thématiques. Petit à petit, les dictionnaires s’affranchissent du latin. Nicot : Thresor, 1606 : le latin a presque disparu – le français se suffit pour décrire ses propres contenus.

John Palsgrave, 1530 : Lesclaircissement de la langue françoyse : vocabulaire, prononciation, forme des lettres.

Paraissent les grammaires de Geoffroy Tory et Champfleury en 1529. Comme Palsgrave, elles montrent une volonté de normalisation. Mais ces premières grammaires utilisent souvent les catégories et définitions latines : grammaires latines du français.

1531, Jacques Dubois, Sylvius : Isagoge – organisation de la langue française (en référence au latin). Il introduit la construction de tableaux, déclinaisons…

Le 16ème s. voit le développement d’un lexique grammatical : adjectif, conjonction, adverbe, conjugaison, terminaison, syntaxe…

1550, Louis Meigret : Tretté de la grammere francoeze. Il se base sur l’usage commun de la langue : approche descriptive (alors qu’auparavant, les premières grammaires étaient spéculatives ou à but pratique). C’est le premier à utiliser l’adjectif : français. Il propose des solutions originales : pronoms, passif…

1562 et 1572, Ramus, Pierre de la Ramée : Gramere

1557 : Robert Estienne, Traicte de la gramaire françoise

Henri Estienne : Hypomneses de lingua gallica

1550 : Jean Pilot, Gallicae linguae Institutio (première grammaire de français langue étrangère)

Puis paraissent de nombreuses autres grammaires…

Jusqu’au 16ème s., on écrit en français de multiples manières. Au 16ème s., la volonté est de normaliser l’écriture (liée notamment à l’imprimerie). Robert Estienne introduit l’accent aigu en 1530. Sylvius, en 1531, l’accent grave et l’accent circonflexe… D’autres ajouts sont abandonnés. Se développe également la ponctuation. Mais différentes questions se posent, comme celle des majuscules. Les débats portent sur la simplification de l’orthographe : est-elle liée à la prononciation ?

Honorat Rambaud propose un alphabet de 52 lettres !

Tout en conservant de nombreuses variations, l’orthographe se généralise dans une voie moyenne, entre conservation de l’écriture latine et signes nouveaux.

Au 16ème s., de nombreux poètes continuent à écrire en latin. D’autres des dialectes, surtout la langue d’oc. Parmi les poètes français, à Lyon, Maurice Scève et Louise Labé. A Paris, la Brigade, devenue la Pléiade (Ronsard, Du Bellay, Pontus de Tyard, Baïf et Jodelle). Les poètes osent des néologismes, syntaxes complexes, expérimentations. Beaucoup de textes poétiques étrangers sont traduits (latins…). Mais à partir du milieu du 16ème s., une poésie française se développe.

Pour Ronsard, « Plus nous aurons de mots en notre langue, plus elle sera parfaite. »

Il n’y a pas une rupture brusque dans les publications : les traductions marquent toujours l’attachement aux racines historiques.

Jacques Tabureau vante la sonorité et la grâce du français. Grammaire, rhétorique et littérature se complètent et s’interpénètrent.

Les écrivains, à commencer par Ronsard, se veulent « éclaireurs » de la langue, des modèles. Fin 16ème s., se développe ainsi un nationalisme linguistique. Le français est perçu dans la continuité de ses origines mêlées : médiévales, latines, gauloises, franques… Pour Etienne Pasquier, le français est « un langage métis ».

1579, Jacques Amyor : Projet d’eloquence royale. Il insiste sur le rôle politique de la langue.

1594, Guillaume Du Vair, De l’éloquence française. Il note l’incompatibilité entre éloquence et monarchie. Pour le Cardinal Du Perron, « Ceux qui se savent aider des armes de l’éloquence peuvent beaucoup pour précipiter le peuple aux désordres, insolences et confusions ».

Lorsque Cicéron tourne le dos au grec pour se consacrer à la philosophie en latin, il reçoit des objections : comment philosopher dans cette langue ? De même, au 16ème s., lorsqu’on abandonne le latin au profit du français. Ainsi, fin 16ème s., la philosophie française comporte plus de traductions que d’œuvres originales.

1580-1588, Les Essais de Montaigne. Ils sont à la fois nourris de culture antique et forment une pensée nouvelle. Pour lui, les institutions scolaires ne produisent que des « ânes chargez de livres ». Il préfère le gascon. Il n’aime pas les langues prolixes. Il préfère les langues qui portent et frappent. Les langues n’arrêtent pas d’évoluer. Chaque siècle pense que la forme de sa langue est parfaite. Il critique les néologismes, la nouveauté continue. Il vaut mieux se fier au parler du bas peuple. Dans son expression, on est très influencé par ceux qui nous entourent. « A Paris, je parle un langage aucunement autre qu’à Montaigne. »

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