L’interprète en langue des signes en situation pédagogique

Emeline Arcambal. L’interprète en langue des signes en situation pédagogique : adaptabilité, enjeux, éthique, tactiques. Linguistique.

Thèse de doctorat en Sciences du langage, Université de la Sorbonne nouvelle – Paris III, 2022. Français. ⟨NNT : 2022PA030034⟩

Résumé

Grâce à l’observation du rôle de l’interprète en interaction, les recherches sociolinguistiques, inscrites dans la lignée de Seleskovitch (1968), ont permis de mettre en lumière la notion d’adaptabilité de l’interprète pour répondre aux attentes du « trilogue ». Qu’il soit interprète en langue vocale ou en langue des signes, le professionnel est désormais vu comme un médiateur de l’interaction qui prend sa place dans les échanges pour permettre à la situation de communication de trouver une issue favorable (Wadensjö, 1998 ; Roy, 1999 ; Metzger, 2000 ; Llewellyn-Jones et Lee, 2014). S’il est une situation où les enjeux sont multiples et bien spécifiques, c’est bien l’interprétation pédagogique. Propre aux interprètes en langue des signes, cette situation aux attentes et aux besoins complexes requiert une adaptabilité constante de l’interprète. En effet, la langue de scolarisation des enfants sourds reste le français, mais l’enseignement se fait via la langue des signes de l’interprète. C’est pourquoi, comme le précise Séro-Guillaume (2011), il est nécessaire que l’interprète tienne compte de tous ces enjeux afin de ne pas faire obstacle à la visée pédagogique du discours. Néanmoins, le vide lexical existant entre le français et la langue des signes (Pointurier, 2014) amène les interprètes à user de tactiques traductives pour ne pas faire obstacle à l’objectif de l’enseignant : l’acquisition de connaissances nouvelles par l’élève sourd. C’est pourquoi, il convient de se demander comment la situation de communication et l’éthique personnelle de l’interprète influent sur ses choix tactiques ? Quel est le rôle et la place de l’interprète en milieu pédagogique ?
Le cadre théorique de la Théorie Interprétative de la Traduction et le Modèle d’efforts de Daniel Gile nous permettront de partir des contraintes des interprètes, à des fins d’analyse. Puis, grâce à une recherche empirique basée sur deux corpus naturalistes et l’analyse de deux focus groups et d’interviews, nous tenterons de mettre en lumière l’adaptabilité de l’interprète aux interactions, sa collaboration avec les participants pour permettre aux échanges de se dérouler sans encombre et sa gestion des enjeux de la situation de communication pour ne pas faire obstacle à la visée pédagogique du discours. Ces analyses nous permettront également de compléter et préciser le modèle d’efforts de Gile, en y incluant les contraintes propres à l’interprétation en milieu pédagogique.

These ARCAMBAL Emeline 2022

https://theses.hal.science/tel-04069720

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : LA PROFESSIONNALISATION DES INTERPRETES EN LANGUE DES SIGNES
1. INTRODUCTION
2. UNE COMMUNAUTE LINGUISTIQUE PARTICULIERE : LES SOURDS ET LA LANGUE DES SIGNES
2.1. De l’interdiction de la langue des signes au Réveil Sourd
2.1.1. De « l’Âge d’Or » de la langue des signes au Congrès de Milan
2.1.2. Le Réveil Sourd
2.2. Vers une reconnaissance de la LSF
2.3. LSF et Français : une distance nécessaire
3. LA PLACE DU PROFESSIONNEL
3.1. Des « faisant office de » à la création d’un diplôme
3.2. La création d’un code déontologique
3.2.1. Historique de l’Association Française des Interprètes en Langue des Signes Française (AFILS)
3.2.2. Le code déontologique
3.3. L’interprète en langue des signes : un interprète de service public ?
4. DEONTOLOGIE OU ETHIQUE POUR L’INTERPRETE EN LANGUE DES SIGNES ?
4.1. Définitions
4.1.1. Déontologie et éthique
4.1.2. Neutralité et impartialité
4.2. Le mythe de la neutralité en interprétation de service public
5. L’EVOLUTION DU MODELE DE L’INTERPRETE EN LANGUE DES SIGNES EN FRANCE ET EN EUROPE
5.1. Le modèle de l’aidant
5.2. Le modèle de la machine
5.3. Le modèle du facilitateur communicationnel
5.4. Le modèle du médiateur bilingue-biculturel
6. CONCLUSION
CHAPITRE 2 : LA VISIBILITE DE L’INTERPRETE DANS L’INTERACTION
1. INTRODUCTION
2. DEFINIR UNE SITUATION INTERPRETEE
2.1. La théorie Interprétative de la Traduction (TIT)
2.2. La théorie du Skopos
2.3. Un contexte sociolinguistique donné
2.4. L’événement interprété
2.4.1. Interpreter mediated interaction
2.4.2. Interpreted event
3. UN PARTICIPANT ACTIF
3.1. Un acteur du trilogue
3.2. La communicative pas de trois
3.3. Des interactions triadiques
3.4. Gérer les tours de parole
3.5. Le concept de role-space
3.6. Interpréter pour une situation de communication : les indications contextuelles
4. CONCLUSION
CHAPITRE 3 : L’INTERPRETE EN LANGUE DES SIGNES EN MILIEU PEDAGOGIQUE
1. INTRODUCTION
2. LA SCOLARISATION DES ENFANTS SOURDS EN FRANCE
2.1. La place de l’interprète
2.1.1. Les écoles bilingues
2.1.2. Les écoles oralistes
2.2. L’enseignant sourd face à une classe d’élèves entendants
2.3. L’interprétation pédagogique : une part non négligeable des interventions de l’interprète en langue des signes
3. LA SPECIFICITE DU DISCOURS PEDAGOGIQUE
3.1. La visée du discours : ajuster le curseur
3.2. Le choix du style interprétatif
4. L’ECART LEXICAL ENTRE LE FRANÇAIS ET LA LSF
4.1. L’écart lexical, un phénomène inhérent à la Traduction
4.2. Les tactiques des interprètes pour pallier l’absence de correspondances directes entre les deux langues
4.2.1. Les tactiques utilisées par les interprètes de conférence
4.2.2. Les tactiques utilisées par les interprètes en langue des signes
4.2.3. La création de néologismes
4.2.4. Quelques groupes de travail sur des néologismes
4.2.4.1. Le lexique scientifique : La Villette
4.2.4.2. Le lexique des Arts : « Dire en Signes »
4.2.4.3. Le lexique de l’histoire : IVT et les monuments nationaux
4.2.4.4. Les sciences de l’ingénieur : l’INSA de Toulouse
4.2.4.5. Le lexique mathématique : Sign’Maths
4.2.4.6. Le STIM
4.2.4.7. Les plateformes de diffusion de signes : le Projet OCELLES et Elix
4.2.4.8. L’importance des réseaux sociaux dans la diffusion des néologismes
4.2.4.9. Des initiatives propres aux services d’interprètes
4.2.4.10. Une visibilité plus importante de la LSF dans les médias
5. CONCLUSION
CHAPITRE 4 : LES CONTRAINTES INHERENTES A L’INTERPRETATION
1. INTRODUCTION
2. LA THEORIE DE DANIEL GILE
2.1. Le modèle IDRC : Interprétation – Décision – Ressources – Contraintes
2.1.1. Les ressources du Traducteur
2.1.2. Les contraintes du Traducteur
2.1.3. Les décisions du Traducteur
2.2. Le modèle d’effort de l’interprétation simultanée
2.2.1. L’effort de réception et d’analyse
2.2.2. L’effort de mémoire
2.2.3. L’effort de production
2.2.4. L’effort de Considérations Humaines et Sociales
2.2.5. Le modèle d’effort de la simultanée : une inéquation
2.2.6. L’hypothèse de la corde raide
2.2.7. Les « lois » sous-jacentes aux choix tactiques en interprétation
2.3. Le modèle d’effort de l’interprétation en langue des signes
2.3.1. Des efforts plus soutenus en interprétation en langue des signes : Bélanger (1995)
2.3.2. Leeson (2005)
2.3.3. Une composante spatiale à prendre en compte : Pointurier (2014)
3. LES NOTIONS DE CONTEXTE ET DE NORMES EN TRADUCTION
3.1. La théorie contextualiste de Pym
3.2. La théorie du Polysystème et la notion de normes de traduction
3.2.1. Définition des normes de traduction
3.2.2. Les normes selon Toury (1995)
3.2.3. Les normes selon Chesterman (1993)
4. LES CONTRAINTES PROPRES A L’INTERPRETATION EN LANGUE DES SIGNES
4.1. Les lieux d’intervention des interprètes en langue des signes
4.2. Des contraintes linguistiques
4.3. Des contraintes d’espace
4.3.1. Le placement physique de l’interprète dans la situation de communication : un choix conscient
4.3.2. Le corps de l’interprète comme vecteur de la langue : les espaces autoréférencés
5. CONCLUSION
CHAPITRE 5 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
1. INTRODUCTION
2. RECUEIL DES DONNEES DES DEUX CORPUS NATURALISTES
2.1. Une formation « apprentissage du français en milieu professionnel »
2.1.1. Organisation des séances d’enregistrement
2.1.2. Présentation des participants
2.1.3. Présentation des interprètes
2.1.4. Le placement des participants dans la salle de classe
2.1.5. Transcription du corpus
2.1.6. Des interviews a posteriori
2.1.7. Une formation particulière
2.2. Un cours de biochimie en BTS Analyse de Biologie Médicale
2.2.1. Organisation de la séance d’enregistrement
2.2.2. Présentation des participants
2.2.3. Présentation de l’interprète
2.2.4. Le placement des participants dans la classe
2.2.5. Transcription du corpus
3. RECUEIL DE DONNEES DU FOCUS GROUP
3.1. Mise en place d’une grille d’entretien
3.2. Organisation des séances d’enregistrement
3.3. Présentation des interprètes
3.4. Transcription des corpus
CHAPITRE 6 : PRESENTATION ET ANALYSE DES RESULTATS
1. INTRODUCTION
2. L’INTERPRETE : UN COLLABORATEUR DES ECHANGES
2.1. La collaboration avec l’élève sourd
2.1.1. La rétroaction
2.1.2. S’adapter à l’usager sourd
2.1.3. La création de signes provisoires
2.1.4. Une temporalité différente
2.2. La collaboration avec l’enseignant
2.2.1. Des échanges directs
2.2.2. L’utilisation de l’écrit et la prise en compte des difficultés de traduction
2.2.3. Permettre des échanges entre élève sourd et enseignant
2.3. La collaboration avec les autres usagers entendants
2.3.1. Quand la collaboration vient des élèves entendants
2.3.2. Le rôle de l’éthique de l’interprète
2.3.3. Permettre à l’élève sourd d’être intégré dans la classe
2.4. Collaboration avec les collègues interprètes
2.5. Conclusion
3. UN GESTIONNAIRE DE LA SITUATION DE COMMUNICATION
3.1. Des interactions directes avec l’usager sourd
3.2. Les indications contextuelles
3.2.1. Faire référence aux orateurs
3.2.2. L’ambiance de la formation
3.3. Un tiers intrusif ?
3.4. Conclusion
4. REPONDRE A L’ENJEU DE LA SITUATION DE COMMUNICATION
4.1. L’utilisation du support visuel
4.1.1. La préparation
4.1.2. Le pointage d’un élément écrit
4.2. La dactylologie
4.2.1. Les noms propres
4.2.2. Les initialisations
4.2.3. Les acronymes
4.2.4. La dactylologie pour faire référence à termes qui n’ont pas de correspondance directe en LSF
4.2.5. La dactylologie pour faire référence à des termes propres au domaine d’études
4.3. Le français signé
4.4. L’emprunt adaptatif
4.5. La labialisation
4.6. La scénarisation
4.6.1. Les scénarisations induites
4.6.2. Les scénarisations de composition
4.7. Les signes provisoires
4.8. L’utilisation de plusieurs tactiques simultanées ou concomitantes
4.9. Conclusion
DISCUSSION DES RESULTATS
1. LA PLACE DE L’INTERPRETE EN LANGUE DES SIGNES DANS LA SITUATION PEDAGOGIQUE
1.1. Une place centrale : un tiers coopératif
1.2. Un gestionnaire des échanges
1.3. La rétroaction au service de l’interprétation
2. L’ENJEU PEDAGOGIQUE ET LA PLACE DU FRANÇAIS
2.1. Le support écrit
2.2. Des tactiques de traduction proche du français
2.3. La problématique de l’écart lexical
3. SCHEMA RECAPITULATIF DU MODELE D’EFFORT ADAPTE A LA SITUATION PEDAGOGIQUE
CONCLUSION GENERALE

Contenus liés

Pierre Mathurin Pétraud

Pierre Mathurin Pétraud (1808-1880). Venant de Rochefort, il fait ses études dans l’institution des sourds de Bordeaux jusqu’en 1827. Il suit également les cours gratuits de l’école de...

En savoir plus

Plan d’accès

...

En savoir plus

Histoire des sourds en LSF

Histoire des sourds : introduction   Histoire des sourds : antiquité   Histoire des sourds : Moyen Âge, Renaissance   Histoire des sourds : Abbé de l’Épée,...

En savoir plus