Politique linguistique et discrimination
Les langues de France
La France dispose d’un patrimoine linguistique d’une grande richesse. Pas moins de 75 langues sont reconnues comme « langues de France ». Ce concept regroupe trois catégories distinctes :
1. les langues régionales traditionnellement parlées sur une partie du territoire
2. six langues non-territoriales issues de l’immigration, sans liens géographiques avec le territoire de la République et pratiquées par des citoyens français depuis plusieurs générations. Elles sont au nombre de six : l’arabe dialectal maghrébin, l’arménien occidental, le berbère, le judéo-espagnol, le romani et le yiddish.
3. la langue des signes française. La LSF est reconnue comme une langue à part entière depuis 2005 (article 75 de la Loi pour l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées).
La politique linguistique
La politique linguistique d’un Etat concerne la ou les langues présentes sur son territoire :
• Leur statut : langue officielle ou non.
• Leur corpus : élaboration ou reconnaissance officielle de dictionnaires, de grammaires.
• Leur acquisition, notamment à l’école : obligation d’apprentissage ou limitation de l’expansion de langues minoritaires, ou même éradication.
Louis-Jean Calvet note cette définition : « On peut définir la politique linguistique comme l’ensemble des choix conscients concernant les rapports entre langue(s) et vie sociale, et la planification linguistique comme la mise en pratique concrète d’une politique linguistique. Un groupe social (par exemple, la communauté mondiale des sourds, la diaspora romani ou celle des yiddishophones, des militants d’une langue régionale ou minoritaire, etc.) peut élaborer une politique linguistique mais celle-ci ne pourra être appliquée sur un territoire donné qu’à travers l’intervention d’une puissance politique qui seule a le pouvoir de passer au stade de la planification puis à celui de la législation. Ce qui n’exclut pas la possibilité de politiques linguistiques régionales comme en Catalogne ou au Québec, ou de politiques transnationales comme dans la Francophonie. »
- Voir notamment :
Louis Jean Calvet, La guerre des langues et les politiques linguistiques
https://www.academia.edu/45088432/Louis_Jean_Calvet_La_guerre_des_langues_Et_Les_politiques_linguistiques - Marie-Josée de Saint-Robert, La Politique de la langue française, Que sais-je ?
- Pierre Fiala, Langue et politique, passion française : https://journals.openedition.org/mots/21639
- Politiques linguistiques : https://www.youtube.com/playlist?list=PLfzQ649CNgqR-u7tAGcHrM11Q-y0Qy0pk
- Les langues officielles : https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_langues_officielles
La DGLFLF
La délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) est chargée d’animer et de coordonner la politique linguistique de l’État français, en l’orientant dans un sens favorable au maintien de la cohésion sociale et à la prise en compte de la diversité de notre société.
https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Langue-francaise-et-langues-de-France/
Comment le français, langue de la République, est-il un garant de la cohésion sociale ? Quelles actions sur les territoires pour la maîtrise de la langue ? Quelles évolutions de la langue pour dire le monde contemporain ? Comment l’innovation et les technologies du langage font du français un atout de souveraineté numérique ? Et quels défis aujourd’hui pour la promotion du français et de la Francophonie, en Europe et dans le monde ? La nouvelle édition du Rapport au Parlement dresse un portrait fidèle et vivant de la situation de la langue française en France et dans le monde. A travers des analyses, des statistiques, des entretiens et des témoignages d’experts, elle apporte un éclairage sur les grands enjeux de notre époque.
https://www.culture.gouv.fr/Presse/Publication-du-Rapport-au-Parlement-sur-la-langue-francaise-2023
https://www.culture.gouv.fr/content/download/326574/pdf_file/20230323_MC_CP_Publication_du_Rapport_au_Parlement_sur_la_langue_fran%C3%A7aise_2023.pdf?inLanguage=fre-FR
Discrimination linguistique
Claude Raffestin écrit : « La langue est un enjeu et par conséquent elle est au centre de relations qui sont ipso facto marquées par le pouvoir. […] Le groupe dominant qui impose son mode de production impose aussi son langage. » (Pour une géographie du pouvoir, chap. 2)
Les discriminations linguistiques ne sont pas un phénomène nouveau et uniquement francophone. Les grecs de l’Antiquité appelaient « barbares » toutes les personnes qui ne parlaient pas le grec. Le mot « barbare » vient de « barbaros », une onomatopée qui évoque des bruits incompréhensibles, des borborygmes.
Un exemple : le basque. La répression franquiste a visé la langue basque. Jean-Marie Izquierdo note : « Le basque fut banni des lieux publics, des textes officiels et de toutes les publications… Le pouvoir décréta des autodafés d’ouvrages en basque devant les bibliothèques. On alla même jusqu’à exiger d’effacer les noms basques sur les tombes, dans le but de les ‘castellaniser’ ». (La Question Basque)
Le 16 prairial an II (4 juin 1794), l’Abbé Grégoire a présenté devant l’Assemblée Nationale son Rapport sur la nécessité d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française. Pour l’Abbé Grégoire, le français est « la langue de la liberté » et son « usage unique et invariable » est nécessaire à « une République une et indivisible ». L’avis de l’Abbé Grégoire est partagé par nombre de ses pairs jacobins, dont son collègue Barère de Vieuzac qui déclare devant la Convention le 27 janvier 1794 : « La monarchie avait des raisons de ressembler à la tour de Babel ; dans la démocratie, laisser les citoyens ignorants de la langue nationale, incapables de contrôler le pouvoir, c’est trahir la patrie… Chez un peuple libre, la langue doit être une et la même pour tous. »
Le même Barère de Vieuzac a rédigé un autre rapport, intitulé Rapport du Comité de salut public sur les idiomes, qu’il a présenté le 27 janvier 1794 (8 pluviôse an II). Il déclare : « Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton ; l’émigration et la haine de la République parlent allemand ; la contre-révolution parle l’italien, et le fanatisme parle le basque. Cassons ces instruments de dommage et d’erreur. »
Les lois Ferry des années 1880 ont particulièrement participé à réduire les langues régionales. L’enseignement est donné en français, diffusant ainsi à l’échelle du territoire national l’usage d’une même langue. Tout enseignement dans les langues locales (que ce soit le breton, l’auvergnat, l’occitan ou l’arabe et le kabyle), qualifiées de « patois », était interdit.
Pour reprendre l’exemple du basque, fin 19ème – début 20ème s., Francis Jauréguiberry écrit dans La langue basque en France, du stigmate au désir : « Les méthodes coercitives se développent. La plus répandue et à la fois la plus choquante est sans doute celle dite du « symbole » (aussi nommée « châtiment du signe » ou « punition de l’anti »). Dès le matin, l’instituteur, surprenant un enfant en train de parler en basque, lui donnait un symbole (un bâton, une boule, un tissu). Ordre était donné à cet enfant de se débarrasser du symbole en le donnant à un autre enfant à son tour surpris à parler en basque. Le dernier enfant porteur du symbole en fin de journée était puni, souvent de façon humiliante. »
A la même époque, pour légitimer la supériorité de l’oralisation sur l’enseignement en langue des signes, le Congrès de Milan a conclu que la parole étant un don de Dieu, la langue des signes française ne pouvait être considérée comme une vraie langue, et que son interdiction revêtait des intérêts sanitaires puisque les signes empêcheraient les sourds de respirer et favoriseraient la tuberculose. Il faudra attendre la loi Fabius du 18 janvier 1991 pour autorises les familles à choisir une éducation bilingue LSF-français. Et ce n’est qu’à partir du 11 février 2005 que la LSF a été reconnue comme « langue à part entière »,
Ces débats autour des langues régionales ou minoritaires sont toujours d’actualité. Ainsi, le 5 novembre 1992, le Conseil de l’Europe ouvre à la signature la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. La France l’a signée le 7 mai 1999, mais a toujours refusé de la ratifier. Voté par l’Assemblée Nationale en janvier 2014, l’amendement constitutionnel autorisant sa ratification est rejeté par le Sénat le 27 octobre 2015. Pour justifier cette décision, le Sénat publie sur son site internet : « Les articles 1er et 2 de la Constitution disposent que la République est indivisible et que la langue est le français. Ces principes interdisent qu’il soit reconnu des droits, par exemple linguistiques, à un groupe humain identifié et distinct du corps national indivisible. Il ne peut exister des droits propres à certaines communautés. »
Plus récemment, la Loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, aussi appelée Loi Molac, a été débattue à l’Assemblée Nationale, et votée le 8 avril 2021. Cette loi considère que les langues régionales, au même titre que le français, forment « le patrimoine linguistique de la France ». Elle favorise également l’enseignement des langues régionales, en obligeant « les communes de résidence qui ne disposent pas d’écoles bilingues « à contribuer aux frais de scolarité des écoles privées sous contrat proposant un enseignement bilingue ». La loi Molac a modifié également le code de l’éducation afin de « généraliser l’enseignement des langues régionales comme matières facultatives dans le cadre de l’horaire normal d’enseignement ». Le texte de loi voté par le Parlement prévoyait également d’autoriser l’enseignement immersif (« enseignement effectué pendant une grande partie du temps scolaire dans une langue autre que le français »).
Autre disposition importante de la Loi relative à la protection des langues régionales et à leur promotion : l’autorisation claire et définitive de la signalétique bilingue par les services publics. Enfin, l’Assemblée Nationale a autorisé tous les signes diacritiques des langues régionales dans les actes d’état civil. Mais Le 22 avril 2021, une soixantaine de députés saisissent le Conseil Constitutionnel, qui retoque la loi Molac en supprimant deux articles : l’autorisation de l’enseignement immersif en se basant sur l’article 2 de la Constitution, et la reconnaissance des signes diacritiques régionaux en s’appuyant sur la circulaire ministérielle 23 janvier 2014. C’est cette censure du Conseil Constitutionnel qui a conduit l’ONU à écrire une lettre le 31 mai 2022 dans laquelle elle fait part de ses craintes sur « des atteintes importantes aux droits humains des minorités linguistiques en France ».
L’école française et les langues régionales : https://books.openedition.org/pulm/882?lang=fr
Langues régionales : la France coupable de linguicides ? https://cheminez.fr/2023/10/13/la/
Pour la langue des signes également, les combats de politique linguistique ne sont pas achevés. Voir par exemple la Fédération nationale des sourds de France : https://www.fnsf.org/wp-content/uploads/2019/09/PRISE-DE-POSITION-LSF.pdf